
Miroir de nos peines vient clore en 2020 une trilogie entamée en 2013 avec Au revoir là-haut suivi de Couleurs de l’incendie en 2018. Il aura donc fallu 7 années à Pierre Lemaitre pour créer une fresque humaine s’étalant de la fin de la Grande Guerre à la débâcle de l’armée française en 1940. Le fil d’Ariane liant les trois œuvres est tissé par certains personnages qui établissent un pont entre chaque titre. L’auteur prenant soin de broder une nouvelle intrigue, il est possible, tout comme pour Couleurs de l’incendie, de lire Miroir de nos peines isolément du reste. Des liens vous échapperaient, des références ne feraient pas sens, cependant le récit saurait se suffire à lui-même. Mais combien regrettable serait votre choix si vous deviez vous contenter de la seule lecture de cet ultime volet. Ce dernier ouvrage étant le plus faible, vous ne pourriez pas prendre la pleine mesure de cette épopée.
« La misère est une institutrice infaillible. Louise apprit en quelques heures à prononcer les mots qui convenaient selon qu’elle sollicitait un homme ou une femme, quelqu’un de jeune ou de vieux, à présenter le visage empourpré par la confusion ou la main tendue du désespoir. »
(Miroir de nos peines)
Car oui, malgré toute l’admiration que je porte à Pierre Lemaitre, il me faut bien admettre que Miroir de nos peines m’a déçu. Nous retrouvons pourtant tous les ingrédients qui firent le succès des deux premiers livres. Ainsi, il convient de souligner le soin apporté à la restitution de l’époque. Une nouvelle fois, elle est magistralement traitée. Nul ne peut douter du travail de documentation. Sur cette trame historique pesante se greffent des protagonistes aux personnalités variées avec des connexités qui s’établissent au fur et à mesure que se tournent les pages. Pourtant, la mayonnaise ne prend pas. Sans être mauvaise, l’intrigue est quelque peu capillotractée. La ficelle de certains évènements clés de la narration est un peu usée avec des coïncidences trop évidentes pour ne pas donner l’impression que l’auteur s’est laissé aller à quelques facilités qui affaiblissent l’ensemble. Mais ce n’est pas tant là que le bat blesse le plus. Où diantre sont passées la densité d’âme et la matière humaine qui irriguaient chaque page des précédents volumes ? Sous quels cieux s’est envolée cette complexité des sentiments qui constituait jusqu’alors le sel de cette odyssée ? Tournant les pages, j’ai espéré en vain retrouver cette vibration si particulière ressentie auparavant, lorsque le tragique se mêlait intimement au romanesque. Les personnages sont fades, sans réelle profondeur. Ne vous attendez pas à retrouver la richesse d’une Madeleine Péricourt dans Couleurs de l’incendie ou la naïveté touchante d’un Albert Maillard dans Au revoir là-haut.
Sans être dénuée d’intérêt, la somme de ces manques rend cette lecture sans saveur particulière. Au-delà d’une description soignée de l’exode tragique des populations en 1940, il est compliqué d’adhérer à l’intrigue, faible et sans grande crédibilité. Si les protagonistes n’avaient pas été si désincarnés avec tant d’invraisemblances dans leurs destins mêlés, sans doute aurait-il été possible d’en faire abstraction. Malheureusement, tout se conjugue pour faire de ce chapitre final le maillon faible d’une trilogie qui reste hautement recommandable.