Chroniques & autres considérations

LES ENFANTS SONT ROIS (Delphine de Vigan)

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Cette année, Loft Story fête ses vingt ans. En avril 2001, cet (encore) ovni télévisé apparaissait sur nos écrans. Entre les fans de ce nouveau format et les détracteurs, les débats furent vite enflammés. Alors que les premiers célébraient l’arrivée d’un concept novateur permettant à chacun d’accéder à la célébrité, les seconds dénonçaient un appauvrissement intellectuel (c’est le moins qu’on puisse dire…) et le début d’une dérive vers une société portant au pinacle voyeurisme et course à la starification. À la suite de cette lecture, difficile de ne pas donner raison à ces derniers.

Car c’est bien là le sujet dans Les enfants sont rois. Avec un art consommé pour l’observation et la description de notre monde, Delphine de Vigan retrace deux décennies d’un exhibitionnisme nait avec la téléréalité puis adoubé par les réseaux sociaux. Bien que le récit soit plus une analyse sociologique qu’un roman policier, l’autrice nous sert l’histoire d’une disparition d’une enfant de six ans, Kimmy Diore, qui donnera lieu à une enquête aux aspects parfois irréalistes. Mais son intérêt est de servir le propos principal, la dénonciation d’une société où les solitudes tentent de se combler sur les réseaux sociaux dans des excès et des mises en scène toujours plus indécentes.

« Elle aimait tout ce qui était vrai, tout ce qui racontait des vies comme la sienne et pouvait lui donner le sentiment d’être moins seule. »

(Les enfants sont rois)

Mélanie Claux, la mère de Kimmy Diore, est une femme biberonnée à la téléréalité. Son idéal : accéder à la célébrité à l’image d’une Loana. Elle participera bien à une émission de ce genre, mais l’issue sera affligeante. Puis arrivent les réseaux sociaux. Mélanie est maintenant une femme mariée, mais malheureuse dans sa vie. Elle est dévorée par un besoin insatisfait de reconnaissance. Ainsi commence-t-elle à exposer sa fille, mais aussi son frère, Sammy, sur YouTube et Instagram. Dans une course incessante au « like », elle partage leur quotidien, demande à ses abonnés de voter pour choisir les nouvelles chaussures de sa fille, organise des « Yes challenge » où un père de famille doit dire oui à tout pendant 24 heures, où ses enfants picorent sans les mains des chips étalées sur la table. Pour ceux qui pourraient en douter, ces « jeux » ne sortent pas de l’imaginaire de l’autrice. Ils existent bien… À cette quête inassouvie de dopamine vient s’ajouter l’appât du gain à travers les sponsors prêts à offrir des ponts d’or pour de juteux partenariats.

Je l’ai écrit plus haut, l’intrigue policière est faible. Mais outre son rôle de fil conducteur tout du long de l’histoire, elle permet de faire la connaissance de Clara Roussel, flic à la brigade criminelle. Son profil est diamétralement opposé à Mélanie Claux. Si elle ne semble pas baigner dans le bonheur, elle assume sa solitude et se trouve à mille lieues du monde de strass et de paillettes qu’affectionne tant la mère de Kimmy et Sammy. À travers ses échanges avec Mélanie et ses recherches dans le cadre de l’enquête qu’elle mènera suite à la disparition de Kimmy, ce personnage offre une approche différente de ces réseaux sociaux qui complète et enrichit le propos.

En refermant le livre, il est difficile de ne pas juger cette mère de famille qui expose et abîme ses enfants. Ses failles narcissiques prenant racine dans son enfance peuvent-elles l’excuser ? Chaque lecteur se forgera son avis. Pour sa part, Delphine de Vigan refuse de l’accabler. Ses mots, aussi forts soient-ils, ne tombent jamais dans le jugement lapidaire. Mais une question pesante demeure. Au-delà de ce roman, combien d’enfants bien réels risquent, trop abîmés, de souffrir du syndrome du Truman Show ?

Pour conclure, si vous recherchez un bon thriller, passez votre chemin. En revanche, même sans figurer parmi les meilleurs titres de l’autrice, Les enfants sont rois n’en reste pas moins une lecture recommandable, tant pour cette description au scalpel de l’innocence sacrifiées sur l’autel du voyeurisme et de l’argent que pour sa pertinence d’analyse sur ce phénomène des enfants star et, plus largement, de la tyrannie de l’image.

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